Textes

Chère X,

Vite un dernier petit mot à l’issue de ce séjour à Paris. Je viens de terminer le livre de J. Beuys sur « Qu’est-ce que l’art ? » dont je te cite un passage : « Au fond, dessiner, ce n’est rien d’autre que faire un plan, ou visualiser quelques chose, un ensemble de relations spatiales ou tout simplement un rapport de grandeurs ».

Et comme tu vois sur cette carte, à la lecture de ce livre et du monde diplomatique, je me suis remis à dessiner en faisant des petits schémas, un mélange de mots, de collages et de dessins. J’aime modéliser, tu le sais ; un peu comme on le fait au départ avec un puzzle en séparant les pièces selon l’imagination du dessin, de ses desseins.

En fait, lire ne me suffit pas pour comprendre ce monde fragmenté, tel qu’il est. Je veux pouvoir exprimer sa complexité, son chaos et ses contradictions. Et ce bien sûr en toute simplicité, sans aucun engagement ni pour la vérité, ni pour la justice, ni pour les inégalités.

Je voudrais simplement montrer l’histoire du monde dans lequel on vit comme un essai des multiples chemins de lecture possible. Car tout n’est qu’instant, rien n’est stable, rien n’est certain … mais aussi comme le dit si bien Marguerite Duras « …et puis tout recommencera… ».

Ces compositions dont je te livre un exemple ici m’aide simplement à structurer ma pensée pour faire partager mon regard qui parcourt, s’arrête, se perd, fuit, fouille, …

De ton côté, tu vas bien ? J’ai vu à la TV que tu présentais toujours à la RTBF cette émission un peu farfelue sur les « Potirons de Wépion ». Malgré ton travail, as-tu encore le temps d’aller apprécier ce beau lever de soleil sur la Meuse, sous un ciel bleu naissant au travers de la brume matinale ?

Voilà, je m’arrête ici mais j’espère qu’on pourra se voir à mon retour, pour parler de tout cela, avant mon départ pour la Floride, à bientôt donc…

Je t’embrasse, …

Creuser l’info et labourer plus profond que large, telles sont probablement les instigateurs inconscients de ce travail dans la recherche d’un dialogue (d’esthétique et de cœur) avec le spectateur.

Mon cheminement a consisté dans le télescopage de la masse d’informations reçues, visuelles, auditives, bruyantes et surtout répétitives de tous les médias pour « bâtir quelque chose … ! » comme le vis-à-vis d’un média plus élaboré, choisi à dessein, à savoir « le Monde Diplomatique ». J’ai ainsi constitué mon travail d’abord à partir de négatifs, d’originaux du journal, structurés et organisés autour de l’année. Pour ce faire, j’ai parcouru quelque 60 ans de ce journal (1954-1959 -> 2018).

A partir de là, je me suis mis à réinterroger l’information reçue pour moi-même d’abord ensuite sous forme d’un essai esthétique que j’ai essayé de rendre avec « humour et poésie » pour servir d’interpellation visuelle, sensitive et intellectuelle avec le spectateur.

C’est ainsi que quelques journaux ont été reconstitués, sur des sujets choisis, à l’aide de découpages, scannages, gommages et floutages, etc… auxquels j’ai ajouté des écrits personnels, des dessins parfois aquarellés ou encrés, … !

Le résultat se veut comme le questionnement sur la réalité « avec son image informative » où le spectateur, graduellement séparé de son monde naturel y est seulement concerné dans un rapport, digitalisé et binaire avec l’écran.

En effet, ce que celui-ci nous propose est tellement redondant et banalisant pour l’émotion qu’il en devient hypnotique pour quelqu’un qui n’essaie pas de réfléchir valablement et/ou ne prend pas le recul nécessaire sur ce qu’on lui propose.

Chaque travail a été volontairement « estampillé » (en rouge) pour en certifier, comme un écho, la recherche de sa vérité propre, celle dont chaque chose devrait receler, tant soit peu qu’elle ne soit pas définitive … !

Une question subsisterait alors : cette vérité (« image informative ») est-elle le monde ? Ou bien celui qu’on veut nous montrer ? Pourrait-on vivre sans ? …

Le passage dans un métro est toujours particulier, quel que soit l’endroit, … il y a toujours quelque chose d’intemporel : des sensations répétitives, saccadées, une impression de dévidé, des arrêts et des départs, de la vitesse et du bruit, des dialogues confus avec des claquements de porte, des voix et des pas qui résonnent, ….

En plus, la musique diffusée n’est souvent ni chaleureuse, ni poétique mais plutôt criarde comme une tentative ratée de rencontre avec le sensible ou pour renouer un dialogue artificiel avec quelque chose … ou quelqu’un que l’on voudrait secrètement reconnaître ! Une bonne partie des pensées, des sentiments et relations de la vie courante (l’empressement, la solitude, la fatigue, le doute … l’ironie, …) sont ainsi canalisés, en coulisses, dans ce passage insolite et éphémère mais obligé, comme celui de l’artiste entre deux apparitions sur scène.

Il s’y dégage ainsi une certaine contradiction entre l’immobilité d’une station et des galeries, … et le cycle des rames de Métro qui nous aide à y échapper et retrouver une vie normale.

Toutes ces sensations sont temporaires comme chaque fois emportées dans un cycle apparition / disparition où se mêle une odeur de poussière et de temps, pressé de passer, ….

Tout cela semble à la fois tellement incohérent humainement mais fonctionnellement totalement cohérent. On a ainsi envie de laisser au temps, le temps de faire son temps, … ou de le fuir, selon …

Les codes ont changé, … vraiment ?

S’agit-il de reproduire le visible ou de rendre visible ?  Mais quoi, et avec quels desseins ? Ceux d’une émotion, d’une sensation, d’une réflexion intériorisée(s) qui, à chaque travail, refait lentement surface comme un noyé revenant progressivement à la vie et à la lumière.

Ce qui est vécu est ainsi modélisé pour mieux en cerner les différentes facettes lors du voyage intérieur à la limite d’un secret désir, voire d’un impossible dessein. Il s’agit de surfer au gré des envies sur la polysémie dont chaque chose recèle (mots, images, couleurs, sensations, …) … et d’en traduire le ressenti, le plus fidèlement possible, pour mieux les communiquer par le dessin, l’écriture, la forme, … en allant à l’essentiel, mais sans en oublier l’étendue des « SENS » ?

Il y a là probablement comme un malin plaisir à provoquer le spectateur en bouleversant les codes pour le retenir entre le va et vient du dessin, de l’écrit et du cadre. Il s’agit de l’emmener le plus profondément possible et profiter de la moindre brèche pour libérer autre chose que ce que l’on voit directement mais qui peut surgir dans l’esprit de chacun entre les desseins du dessin et des mots.

Le travail est fait pour guider le regard du spectateur sur un trajet, à l’intérieur d’un cadre, ou bien pourquoi pas … pour l’en faire sortir ? A lui de voir ce qu’il veut faire, … il a sa liberté de penser ! « L’art est une faille dans le système » disait Paul Klee !

Bon ! … Et ben moi qui voulait simplement apprendre à dessiner selon les règles de l’Art … .

Texte à deux voix (réalisé avec Myriam Sevrin) sur le thème du crayon !

Je suis le pèlerin
Des mots et des images
Celui qui trempe sa plume dans l’encre sombre
Raconte son histoire
Se remet chaque jour à l’ouvrage

Un être qui aime particulièrement l’humour
Les signes, les traces, la musique du vent
Comme celle de la Nouvelle Orléans
Il ne faut surtout pas me prendre au sérieux
Je ne suis qu’un homme de passage !

Mais finalement, les mots, les livres, les tableaux
Que sont-ils donc ?
Ils sont ce que je dis d’eux
Ce que je vois d’eux
Ce que je pense d’eux

Ils sont une partie de moi-même
Moi, qui ne suis que signes
Pensées, taches et mouvements !
Je suis aussi le pinceau
Qui trempe son poil dans l’eau

Le souffle qui anime les créations
Quand je pense aux mots et aux images
Je me mets automatiquement à l’ouvrage
Parfois, je chute et trébuche
Me redresse comme un crayon bien taillé

Je reprends alors la route
Sans aucun doute
Pour tracer les mots
Qui de tous temps
Sont venus éclairer les illustrations !

La ligne, la trace cheminent
Racontent une histoire, passent partout
S’arrêtent et se demandent
Encore et toujours
Qui suis-je finalement ?

Plume, pinceau, crayon, stylo
Couleurs ardentes, matière ?
Pure imagination ?
En tout cas
Je suis des mots

Des mots qui se cherchent
En vivant le silence
La présence ou l’absence
Comme un reflet de miroir …
Suis-je devant ou dans l’image ?

Face aux traits qui se promènent sur la feuille
Je me sens comme une trame qui se lie à sa chaîne
Sous les doigts habilles de Pénélope
Je suis signes, lignes harmonieuses
Courbes d’hommes et de femmes

Droites, angles, limites de l’image
Un tissu qui raconte
Ce qui parfois ne se dit pas
Toile blanche du pèlerin
Vibrante en noir et blanc, colorée …

Je révèle des émotions,
Des sentiments, des pensées qui surgissent
Sur le papier ou sur le sable
Quand vient jouer sur lui
La mouvance de l’écriture, d’une écume de la mer

Bien sûr, je dois souvent me répéter
Revenir sur mes pas, parfois en effacer les traces
Recommencer le travail, l’actualiser
Comme le font le sac et le ressac
Des bords de l’océan …

Au rythme effréné des « j’aime », Facebook scan et digitalise nos photos, nos attitudes, nos réflexions et opinions … . La propriété de notre personnalité est ainsi reprise et enregistrée à notre insu tandis que d’autres vilipendent, au nom de la vie privée, l’enregistrement de certains critères d’identification bien moins intimes dans le cadre de la vie en société !

Malgré cette contradiction, ce besoin de se rechercher, de se reconnaître et de se congratuler mutuellement s’apparente à une « digitaline » de la communication. Elle s’incruste ainsi dans nos vies faisant scintiller nos écrans au rythme des additions de « j’aime » et des actualisations de « statuts ».

Alors que Facebook était encore dans le néant, c’est avec dérision et humour que quelques auteurs ont déjà illustré ce besoin de se lancer des louanges sans pudeur pour calmer les démangeaisons de la solitude :

Molière : La fameuse scène des Femmes savantes, où Vadius et Trissotin s’adressent l’un à l’autre des louanges ridicules, est dans cet esprit.

Erasme : On lit dans l’Éloge de la folie … « Rien n’est plus plaisant que de voir des ânes s’entre-gratter, soit par des vers, soit par des éloges qu’ils s’adressent sans pudeur : – Vous surpassez Alcée, dit l’un. – Et vous Callimaque, dit l’autre. – Vous éclipsez l’orateur romain. – Et vous, vous effacez le divin Platon ! ».

J. de la Fontaine : Il est une traduction littérale du latin « asinus asinum fricat » qui a été sortie de l’oubli par Jean de la Fontaine, dans « Le lion, le singe et les deux ânes ». Il est né de l’habitude qu’ont les ânes (réputés à tort pour être idiots) de se frotter l’un à l’autre pour calmer leurs démangeaisons.

Tout cela mérite donc bien la rencontre de quelques captures d’écran prises sur la toile avec des mots ou expressions choisis au travers d’une pratique personnelle du dessin pour … autre chose !